Le pays empêche certains Canadiens de quitter son territoire et en emprisonne d’autres injustement

Photos courtoisie Huseyin Celil, un militant d’origine ouïgoure qui a obtenu la citoyenneté canadienne, est emprisonné en Chine depuis 2006. Sa famille n’a eu aucune nouvelle de lui depuis quatre ans. Sur la photo principale, prise en 2005, il tient l’un de ses quatre fils.Nora T. Lamontagne

« Il n’y a pas de limites à ce que [les Chinois] peuvent faire quand il y a un problème entre partenaires. C’est important que les chefs d’entreprise le réalisent », martèle Fabien, un prénom fictif pour taire son identité et lui éviter de nouvelles représailles. 

L’entrepreneur en ingénierie-construction l’a appris à ses dépens il y a trois ans et demi, en tentant de quitter la Chine continentale pour un voyage d’affaires.

Les douaniers lui ont alors annoncé qu’un juge avait décrété, six mois plus tôt, un interdit de sortie (exit ban) d’une durée indéterminée à son égard, à la suite de frictions avec son associé chinois.

Une lettre l’a ensuite informé qu’il était privé d’acheter quoi que ce soit « de luxe », comme une place en première classe dans un train ou l’école privée pour son enfant. 

Depuis, il a perdu tout statut légal en Chine en dépassant la durée de son visa. Il craint maintenant de se faire déporter au Canada, ce qui l’éloignerait de sa femme, d’origine chinoise, et de leur enfant né en Chine, pendant au minimum cinq ans. 

« Mes parents ont 90 ans, mon père n’est vraiment pas en santé… C’est sûr que j’aimerais retourner à Montréal. Mais la vraie problématique, c’est la peur constante d’être emprisonné et déporté », dit-il. 

115 détenus canadiens

Fabien est loin d’être le seul à faire les frais du système de justice chinois.

Selon Affaires mondiales Canada, 115 Canadiens sont encore plus mal pris que lui en étant emprisonnés alors même que les Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig viennent d’être relâchés dans la saga Huawei. 

« Disons que l’équité des procédures en Chine n’est pas à la hauteur des standards internationaux », affirme Charles Burton, ex-diplomate canadien posté à Beijing. 

À titre d’exemple, la Chine détient depuis 2006 Huseyin Celil, un prisonnier politique d’origine ouïgoure, et depuis 2017 Sun Qian, une pratiquante du Falun Gong, une religion considérée là-bas comme une secte. 

Sévèrement punis

La plupart des autres prisonniers ayant la nationalité canadienne ont été reconnus coupables de crimes financiers ou reliés au trafic de drogue, poursuit M. Burton, membre de l’Institut Macdonald-Laurier, un institut de politiques publiques. 

Quatre d’entre eux font même face à la peine de mort pour des histoires de stupéfiants, un crime que la Chine punit sévèrement. Robert Schellenberg, de la Colombie-Britannique, est l’un d’entre eux. Sa condamnation est passée de 15 ans de détention à la peine de mort en 2019. 

« C’est une forme de pression politique sur le Canada. Maintenant, je me demande si les choses vont changer pour lui avec le retour de Meng Wanzhou [dirigeante de Huawei détenue au Canada] en Chine », dit David Webster, professeur à l’Université Bishop’s, spécialiste de l’histoire de la Chine. 

Un prisonnier qui mérite aussi l’attention  

La femme d’un prisonnier politique détenu en Chine depuis 15 ans voudrait que le gouvernement canadien en fasse autant pour sa libération que pour celle des « deux Michael ». 

« Pourquoi est-ce que son cas n’a pas reçu autant d’attention ? Est-ce que c’est parce qu’il est musulman, parce qu’il est de la minorité ouïgoure ? » demande Kamila Telendibaeva, la femme d’Huseyin Celil, 52 ans. 

Militant pour les droits de la minorité ouïgoure, son mari a été arrêté en 2006 pendant un voyage en Ouzbékistan, à la demande de la Chine, puis déporté.

Il a été accusé de « terrorisme haineux » et condamné à la prison à vie, une sentence qui a été par la suite réduite à 20 ans de détention.

Sa femme et ses quatre fils — dont deux nés au Canada — sont sans nouvelles de lui depuis 2017, moment où le régime chinois a durci sa répression envers la communauté ouïgoure.

« Le Canada a prouvé qu’il pouvait négocier avec la Chine [avec la libération des deux Michael]. À partir de maintenant, je vais insister encore plus, jusqu’à ce que Huseyin revienne à la maison », affirme d’un ton décidé Mme Telendibaeva, qui habite Brompton, en Ontario. 

Privé de visites

Charles Burton, un ancien employé de l’ambassade canadienne en Chine, regrette que le pays n’ait pas fait plus pour lui. 

« Le gouvernement chinois ne nous a pas permis de le visiter en prison sous prétexte qu’il n’était pas canadien, ce qu’on n’a pas assez contesté, à mon avis », dit-il. 

En 2019, l’ambassadeur du Canada en Chine, Dominic Barton, avait d’ailleurs faussement affirmé que M. Celil n’était pas citoyen, alors qu’il a la double nationalité. 

Cet épisode fait encore bouillir de rage Mme Telendibaeva, qui y voit le désintérêt du gouvernement canadien pour le cas de son époux. 

Espoir déçu

Bien qu’elle se réjouisse de la libération récente des Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig dans la foulée de l’affaire Huawei, elle entretenait un mince espoir que son mari serait du même vol de retour. 

« Les derniers jours ont été très frustrants, très difficiles », laisse-t-elle tomber. 

Ecrit par: Nora T. Lamontagne
Lien d’origin: https://www.journaldemontreal.com/2021/10/04/pris-au-piege-par-la-chine-autoritaire
Media: Le Journal De Montreal


TRANSLATION

The country prevents some Canadians from leaving its territory and imprisons others unfairly

Photo courtesy Huseyin Celil, an activist of Uighur origin who obtained Canadian citizenship, has been imprisoned in China since 2006. His family has not heard from him for four years. In the main photo, taken in 2005, he is holding one of his four sons.

“There is no limit to what [the Chinese] can do when there is a problem between partners. It is important that business leaders realize this, ”insists Fabien, a fictitious first name to conceal his identity and prevent him from further reprisals. 

The engineering-construction contractor learned this the hard way three and a half years ago, when he tried to leave mainland China on a business trip.

Customs officials then informed him that a judge had decreed, six months earlier, an indefinite exit ban for him, following friction with his Chinese partner.

A letter then informed him that he was deprived of purchasing anything “luxury”, such as a first class seat on a train or private school for his child. 

He has since lost all legal status in China by exceeding the duration of his visa. He now fears being deported to Canada, which would distance him from his wife, of Chinese origin, and their child born in China, for at least five years. 

“My parents are 90 years old, my father is really not in good health… I would definitely like to return to Montreal. But the real problem is the constant fear of being imprisoned and deported, ”he said. 

115 Canadian inmates

Fabien is far from the only one paying the price for the Chinese justice system.

According to Global Affairs Canada, 115 Canadians are even worse off than him by being imprisoned even as Canadians Michael Spavor and Michael Kovrig have just been released in the Huawei saga. 

“Let’s say that the fairness of procedures in China is not up to international standards,” said Charles Burton, a former Canadian diplomat stationed in Beijing. 

For example, since 2006 China has held Huseyin Celil, a political prisoner of Uyghur origin, and since 2017 Sun Qian, a practitioner of Falun Gong, a religion considered there as a sect. 

Severely punished

Most of the other Canadian prisoners have been convicted of financial or drug-related crimes, says Burton, a member of the Macdonald-Laurier Institute, a public policy institute. 

Four of them even face the death penalty for drug addiction, a crime that China punishes severely. Robert Schellenberg from British Columbia is one of them. His sentence was reduced from 15 years in detention to the death penalty in 2019. 

“It’s a form of political pressure on Canada. Now I wonder if things will change for him with the return of Meng Wanzhou [Huawei leader detained in Canada] to China, ”said David Webster, a professor at Bishop’s University who specializes in Chinese history. 

A prisoner who also deserves attention  

The wife of a political prisoner detained in China for 15 years would like the Canadian government to do as much for her release as for that of the “two Michael”. 

“Why hasn’t her case received so much attention?” Is it because he is a Muslim, because he is from the Uighur minority? Asks Kamila Telendibaeva, Huseyin Celil’s wife, 52 years old. 

Activist for the rights of the Uighur minority, her husband was arrested in 2006 during a trip to Uzbekistan, at the request of China, then deported.

He was charged with “hate terrorism” and sentenced to life in prison, a sentence which was later reduced to 20 years in prison.

His wife and four sons – two of whom were born in Canada – have not heard from him since 2017, when the Chinese regime toughened its repression against the Uighur community.

“Canada has proven that it can negotiate with China [with the release of the two Michaeles]. From now on, I will insist even more, until Huseyin comes home, ”said Ms. Telendibaeva, who lives in Brompton, Ont. 

Private tours

Charles Burton, a former employee of the Canadian Embassy in China, regrets that the country has not done more for him. 

“The Chinese government did not allow us to visit him in prison on the pretext that he was not Canadian, which has not been disputed enough, in my opinion,” he said. 

In 2019, the Ambassador of Canada to China, Dominic Barton, had also falsely affirmed that Mr. Celil was not a citizen, while he has dual nationality. 

This episode still boils with rage Ms. Telendibaeva, who sees the disinterest of the Canadian government in the case of her husband. 

Disappointed hope

While she was delighted with the recent release of Canadians Michael Spavor and Michael Kovrig in the wake of the Huawei affair, she had little hope that her husband would be on the same flight home. 

“The last few days have been very frustrating, very difficult,” she says.